Accueil - Présentation
L'historique du château fort du Kagenfels
Etude architecturale du Kagenfels
Histoire du chantier
le Kagenfels dans les médias
L'Association pour la Conservation du Patrimoine Obernois
Les liens
Contact
Zone membres
Le livre d'or

Cet article, relatant de l'étude architecturale du château du Kagenfels, a été rédigé par Mathias Heissler, Architecte du Patrimoine et chef des travaux de réhabilitation des ruines de la fortification. Ce résultat de plusieurs années de recherches a été publié en 2002 par la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d'Alsace.

 

1262 - Fin XIIIe-XIVe s. - 1430 - XVe s. - XVIe s. - Conclusion

 

Le Kagenburg est érigé sur l'étroit sommet d'un affleurement granitique formant la ligne de crête d'un plateau s'étendant en pente douce à l'Est et au Nord. La valeur défensive du site était très faible : le rocher sommital dominait à peine le plateau, les pentes Sud et Ouest étant seules escarpées et aptes à être facilement défendues. Un profond fossé au profil étroit et aux parois abruptes a donc été entaillé au Nord et à l'Est. L'entaille réalisée dans le plateau au niveau de l'extrémité Sud du fossé est encore bien visible, le chemin d'accès se trouvant vraisemblablement au fond de celle-ci (il ne s'agirait donc pas ici d'une amorce d'isolement du plateau à but défensif)...

Le logis de 1262

Le logis de forme polygonale est très étroit, s'inscrivant dans un rectangle de 13 m sur 12 m ne ménageant qu'une surface interne d'à peine 75 m² par niveau. Le nombre d'étages élevés au XIIIème s. nous est inconnu, mais par références à des constructions contemporaines on peut supposer trois niveaux, selon une organisation comparable à celle conservée au proche Birkenfels. Celui-ci présente aujourd'hui encore de très nombreuses analogies formelles et fonctionnelles avec le Kagenfels, de même que le château du Haut-Andlau. L'appareil de granit du logis du Kagenfels est constitué d'assises relativement soignées sur la façade d'entrée à l'Ouest, les murs Sud et Nord étant par contre très hétérogènes. Un solide chaînage d'angle en granit lisse s'inscrit au Nord-Ouest dans la continuité des assises.

Niveau inférieur du logis

Le niveau d'entrée est situé en hauteur, rendant la porte inaccessible au bélier de l'assaillant. L'entrée se faisait probablement alors au moyen d'une volée d'escalier en bois desservant un palier en encorbellement. Les ouvertures actuellement visibles sur ce niveau d'entrée sont encore au nombre de trois.

La porte d'entrée ogivale s'ouvre dans le mur Ouest du logis. Son encadrement de grès présente une typologie similaire à celle du Birkenfels, du Haut-Andlau, ou encore d'Ortenbourg et Spesbourg. La crapaudine interne est en partie conservée. De maigres restes d'enduit sont encore visibles sur l'intrados de l'embrasure. Une archère à niche partiellement ruinée est visible au Sud de la porte. La niche a perdu son parement externe qui devait ménager une étroite fente de tir verticale, et ne laisse plus apparaître aujourd'hui qu'une ouverture béante que certains ont interprétée à tort comme une large fenêtre. Une troisième ouverture est encore partiellement visible sur le mur Sud. Son plan semble avoir été triangulaire comme l'indique la moitié conservée. L'angle relevé laisse supposer une fente d'éclairage, la base de cette embrasure étant par ailleurs située bien au-dessus du niveau du sol de l'entrée.

Une tranchée de sondage réalisée sur le court mur Est du logis n'a révélé qu'un mur aveugle dans la limite de la profondeur explorée. Le mur Nord est aveugle dans sa partie Ouest en grande partie visible hors sol. Sa partie Est demeure enfouie sous les débris de maçonneries. Tout laisse penser qu'elle devait posséder au minimum une niche d'archère, ce côté du logis faisant face à l'attaque ne pouvant être demeuré entièrement aveugle au niveau de l'entrée. Les restes du logis sont encore comblés dans une vaste moitié Est par des débris de maçonneries. Des fouilles réalisées peu après le début du XXème s. dans la moitié Ouest du logis ont généré d'importants déblais qui ont à l'époque été déversés sur la pente Ouest et Sud.

Le premier étage du logis

Au niveau du premier étage, deux ouvertures aujoud'hui presque disparues nous sont encore partiellement connues par des photographies anciennes. Une porte située à proximité de l'angle Ouest possédait encore dans les années 1930 quatre blocs de la partie gauche de son encadrement en grès rose. Les deux jambages inférieurs présentaient une simple feuillure, alors que les deux blocs supérieurs étaient munis d'une feuillure supplémentaire permettant d'encastrer une menuiserie à l'intérieur de l'embrasure de porte. Des trous carrés destinés à l'insertion de barreaux étaient visibles sur les faces internes des deux blocs supérieurs uniquement. Cette disparité dans la découpe des blocs pourrait résulter de la transformation d'une porte primitive en une petite fenêtre, la base de la porte étant alors simplement bouchée de manière à créer un appui de fenêtre. Il ne subsiste plus de trace d'un éventuel encorbellement à l'extérieur de cette porte.

Une fenêtre existait au-dessus de la porte ogivale du logis au XXème s. et son embrasure demeurait visible jusque dans les années 1930. Le relevé a permis de restituer sa configuration qui semble correspondre à une fenêtre double à coussièges. Plusieurs coussièges en grès ont été retrouvés au sol directement en contrebas. Il pourrait s'agir de la fine fenêtre à remplage dont deux fragments ont été retrouvés loin en contrebas.

Restitution de l'implantation de plusieurs fenêtres disparues du logis

Plusieurs dizaines d'éléments d'encadrement en grès provenant de plusieurs fenêtres ont été retrouvés sur les pentes, certains gisant au fond du fossé, d'autres étant retenus à l'intérieur de l'une ou l'autre enceinte. Leur situation à l'intérieur des débris issus du logis permettent à ce jour de proposer plusieurs hypothèses d'implantation. Les éléments sont les suivants, certaines de ces fenêtres étant éventuellement implantées après le XIIIème s. Tous les encadrements sans exception ont été brisés anciennement afin de récupérer les précieux barreaux en fer. Plusieurs fenêtres possédaient tardivement un vitrage formé d'une résille de plomb portant des losanges de verre blanc.

Mur Est L3: trois moitiés de lintaux et d'appuis indiquent l'existence d'une ou plusieurs fenêtres rectangulaires doubles ouvertes dans ce court mur qui auraient seules offert une vue sur les proches châteaux de Dreistein et Waldesberg-Hafelschloss, et de capter la lumière de l'Est.

Mur Nord-Ouest L5 : il possédait une fenêtre double dont plusieurs éléments ont été retrouvés gisant dans le fossé. Un fragment de meneau comparable à ceux de la fenêtre multiple voisine (avec une feuillure interne ici) ainsi que plusieurs coussièges ont ainsi été relevés par prospections de surface.

Mur Sud L2 : l'existence d'au moins une fenêtre double rectangulaire identique à celle(s) du mur Est est avérée par la découverte de quatre fragments de meneau, linteau et montants. Plusieurs larges corbeaux de grès et de nombreux jambages de portes semblent indiquer l'existence de latrines sur cette façade, les déjections retombant ici sur le rocher hors des enceintes.

Mur Ouest L1 : une fenêtre rectangulaire double similaire aux précédentes provient de la moitié Sud du mur (variante de profil sans feuillure interne). Un autre type de fenêtre double rectangulaire sans feuillure externe a été identifié pour ce mur par un fragment de linteau (ou base) et plusieurs montants à chanfrein externe simple. Un petit linteau à fenêtre rectangulaire simple a été retrouvé en surface à l'intérieur de la tour palière. La fine fenêtre à remplage proviendrait de l'aplomb de la porte.

Mur Nord-Est L4 : le petit linteau d'un unique fenestron ogival a été trouvé dans le fossé en contrebas de ce mur.

Une fenêtre multiple à fenestrons rectangulaires face à l'attaque, au Nord

Une telle fenêtre existait de manière indiscutable sur le mur L4. Douze fragments de son complexe encadrement en grès ont été exhumés aux débris du logis, regroupés contre le parement interne de l'enceinte haute (mur E7). Le fenestron partiellement restitué était le premier en partant de l'Est. Cet encadrement proviendrait a priori du niveau supérieur, au regard de la situation des fragments (éléments tombés précocement puis recouverts par plusieurs mètres de débris). La plupart des fragments ont été laissés enfouis à ce jour, ne permettant donc pas de connaître sa largeur totale. Ses caractéristiques générales sont cependant définies par les quelques fragments exhumés.

Cette fenêtre s'apparente à celles de la façade Est du Birkenfels qui seraient contemporaines. Il s'agit d'une fenêtre composée de fenestrons rectangulaires de hauteur croissant vers le centre, en nombre impair probablement (5 ou 7 dans la majorité des cas connus). Les éléments retrouvés correspondent à plusieurs types de blocs : meneau, linteaux, appuis et montants. Ils comportent des variantes dans leurs différentes découpes, profils, chanfreins et ébrasements qui ne sont pas détaillés ici. Tous ces éléments sont en grès rose au grain fin se prêtant à une taille précise. Les faces internes des embrasures comprennent des logements de section carrée destinés à l'ancrage de barreaux métalliques. Les baies rectangulaires sont en extérieur entourées d'un chanfrein et d'une feuillure, simple redent décoratif probablement destiné aussi à dévier l'eau de ruissellement. La manipulation de volets externes paraît difficilement envisageable au regard de la présence des barreaux. Une seconde feuillure, interne, existe sur la totalité des pièces d'encadrement, qui correspond à l'encastrement des huisseries de fenêtres. Les éléments d'encadrement en grès sont encore en partie recouverts d'un fin badigeon de chaux destiné à réfléchir la lumière du jour et à augmenter ainsi la luminosité à l'intérieur du logis. Un coussiège à été retrouvé en contrebas dans le fossé, qui proviendrait du même ensemble.

Une particularité structurelle distingue cette fenêtre multiple de celle du Birkenfels : il s'agit du système de superposition des linteaux. La découpe complexe des linteaux du Birkenfels crée un point de rupture qui est inexistant dans le dispositif du Kagenfels. En effet, c'est une découpe axiale de la tête des meneaux qui gère ici le problème de la superposition des linteaux, permettant avec astuce de réaliser le changement de module des fenestrons sans les fragiliser. Les meneaux du Kagenfels sont par ailleurs bien plus massifs que ceux (en partie restitués) du Birkenfels.

Les mêmes fenêtres rectangulaires simples, doubles ou multiples omniprésentes au Birkenfels et au Kagenfels sont de toute évidence à dater du XIIIème s., ces deux châteaux n'ayant vraisemblablement pas été intégralement modifiés au XIVème s., modifications qui auraient supprimé jusqu'à la moindre trace d'une supposée typologie de fenêtres antérieure.

Le donjon : éléments conservés

Le donjon circulaire imbriqué dans l'angle Sud-Est du logis n'était connu à ce jour que par son parement interne, dun diamètre moyen de 250 cm. Trois sondages ont permis de fixer son diamètre total à 720 cm, l'épaisseur du mur annulaire étant de 235 cm. Le mode de liaison entre logis et tour a pu être relevé : il témoigne d'une simultanéité de construction, les assises observées étant continues sur l'ensemble des murs. Un sondage réalisé au contact du mur d'enceinte E1. et du donjon a permis de retrouver quatre assises de parement ici exceptionnellement conservées, le mur d'enceinte accolé ayant contrebuté la base de la tour, évitant ainsi son arrachement. Les assises de granit sont régulières et montées avec soin, s'apparentant à celles des deux tours en granit du château de Haut-Andlau. Un dessin du XIXème s. montre qu'une élévation hors sol du donjon du Kagenfels subsistait à cette époque encore. Rien ne permet à ce jour d'affirmer que la base de cette tour ait été utilisées comme citerne.

Un intéressant bloc de granit aux ébrasements complexes a été trouvé parmi les débris du donjon recouvrant l'arrachement du mur E2. Celui-ci provient de l'encadrement d'une meurtrière cruciforme qui peut être restituée par juxtaposition d'éléments globalement symétriques, et serait similaire à celles du donjon du château de Wangenbourg. Ce bloc affleurant en surface des éboulis ne serait tombé que tardivement et proviendrait alors d'un probable tiers inférieur de la tour. La courbure de la face de parement externe et le matériau granitique employé indiquent sans ambiguïté qu'il provient du donjon. Il s'agirait là de la seule meurtrière cruciforme connue en Alsace sur un donjon circulaire, et probablemnt même de la plus ancienne cruciforme, si l'on retient la date de 1262 pour sa réalisation.

Conclusion : proposition de restitution du noyau de 1262

Le logis du Kagenfels était probablement conforme au modèle local de la fin du XIIIème s., connu par plusieurs châteaux en partie encore conservés. Limité à trois niveaux, il aurait été couronné d'un chemin de ronde crénelé externe, derrière lequel une toiture en bâtière à cinq pans aurait été à l'abri des projectiles, un cheneau de gouttière périphérique permettant la collecte des eaux de pluie. Des boulins ou corbeaux de pierre périphériques existaient généralement, permettant la mise en oeuvre de hourds. Un dessin montre que les deux tours du Haut-Andlau étaient encore pourvues d'un tel dispositif probablement permanent au moins jusqu'au XVIème s., de même que le logis. L'accès aux tours se faisait alors dans ce même château depuis la toiture du logis par une échelle mobile, représentée sur un dessin du XVIIIème s. La défense était essentiellement verticale dans le contexte du XIIIème s., assurée depuis les superstructures en encorbellement, les ouvrages de flanquement étant inexistant en tant que tels à cette période.

La comparaison des restes du donjon de Kagenfels avec d'autres tours similaires conservées permet d'estimer la hauteur initiale à une vingtaine de mètres. Une porte située en hauteur, surmontée d'un ouvrage en encorbellement, constitue le shéma défensif habituellement mis en oeuvre. Un crénelage discontinu offrait plusieurs axes de tir et d'observation sur les plate-formes sommitales des tours du Haut-Andlau. La forme de toiture du donjon du Kagenfels nous est connue dans un état tardif : on peut identifier la silhouette élevée de cette tour couronnée d'une toiture en poivrière sur le dessin AMS réalisé probablement dès la fin du XVIème s.

Le caractère résidentiel du Kagenfels apparaît donc prédominant sur sa valeur militaire dans la configuration du XIIIème s., ceci malgré ses dispositifs défensifs présumés. L'étroit logis percé de multiples baies s'ouvrait ainsi face à l'attaque, symboliquement protégé par un massif donjon circulaire. Les nombreuses ouvertures réalisées au Nord, à l'Est et à l'Ouest auraient apparemment renvoyé à la façade Sud les indispensables latrines et cheminées. Cette configuration paradoxale semble démontrer un parti d'ouverture sur les chemins d'accès, les châteaux voisins de Waldesberg, Dreistein et Birkenfels, sur Hohenbourg et la plaine d'Alsace au Nord.

1262 - Fin XIIIe-XIVe s. - 1430 - XVe s. - XVIe s. - Conclusion

 

Illustrations
Le Kagenfels
Proposition d'interprétation des relevés du château du Kagenfels en 1262. Dessin réalisé par Mathias Heissler.
Le Kagenfels
Reconstitution du Kagenfels au XIIIème siècle (face nord). Dessin réalisé par Mathias Heissler.
Le Kagenfels
Meurtrières, dispositifs rares ou uniques du château de Kagenfels
Le Kagenfels

Relevés et proposition de restitutions partielles de plusieurs fenêtres et portes du Kagenfels.

Dessin réalisé par Mathias Heissler.

Le Kagenfels

Plan du bâti du Kagenfels avec proposition de datation des murs, état décembre 2001.

Dessin réalisé par Mathias Heissler en 2002

Le Kagenfels
Photo du Kagenfels, prise sur le versant face de la vallée, dominée par le château médiéval